Ce jeudi 31 mars, alors que la France était dans la rue, le socialiste allemand Bernd Lange a déclenché une petite tempête outre-Rhin. Il a déclaré au Taz ne voir aucun problème à la mise en application de l’accord de libre échange CETA, avant même le vote des parlements nationaux.
Alors que le Secrétaire d’État au Commerce Matthias Fekl répète à l’envi que le Parlement français aura le dernier mot sur les accords, ou que « le contrôle parlementaire est une garantie démocratique indispensable », les ruses politiques semblent en passe de l’emporter sur les belles paroles.
Mettre en application un texte négocié en secret, sans même attendre le verdict des élus serait une double insulte à la démocratie. Le gouvernement français doit s’assurer que le droit des élus à se prononcer sur le premier des accords transatlantiques sera respecté. CETA ne soit pas être appliqué avant leur vote.
Tribunaux arbitraux : voter non ne protégera pas les États membres
Encore plus choquant, en cas d’application provisoire, l’aspect le plus décrié du traité - la possibilité pour les multinationales d’attaquer les États lorsque des décisions nuisent à leurs profits - sera lui aussi mis en place avant le vote des parlements nationaux. Pire, même en cas de rejet de l’ensemble de l’accord par la représentation nationale [1], le chapitre investissement du CETA continuera à s’appliquer pendant trois ans : trois ans de vulnérabilité aux caprices des investisseurs, en dépit du vote négatif ! [2]
Le dangereux précédent de l’accord EU-Colombie-Pérou
L’application provisoire des traités de libre échange a déjà été utilisée pour contourner la contestation. Le très décrié accord commercial entre l’UE, la Colombie et le Pérou a été mis en application dès août 2013, en attendant sa ratification par les 28 États membres de l’UE.
Les opposants français de l’accord ont alors attendu plus de deux ans, sans aucune information sur une date de vote en France.
Ce n’est qu’en septembre 2015 que le vote a été placé à l’agenda de l’Assemblée Nationale, sans tambours ni trompettes, et en procédure accélérée. Il a eu lieu sans débat. Le vote au Sénat s’est quand à lui déroulé en décembre 2015, dans l’ombre de la COP21 et sans la moindre attention médiatique.
Va-t-on vers un scénario similaire pour le CETA, le poisson pilote de l’accord transatlantique TAFTA ?
« Que ce soit dans l’hypothèse de la non-mixité de l’accord - s’il en était ainsi décidé à l’échelon européen - ou dans celle d’un vote négatif sur un accord mixte, cela équivaudrait selon moi à un coup d’État démocratique. La France n’acceptera ni l’hypothèse où cet accord serait déclaré purement communautaire sans intervention du Parlement européen ni l’hypothèse du rejet d’un projet qui vous serait soumis mais entrerait en vigueur. Une telle hypothèse ferait trop de mal à notre conception de la démocratie et au projet européen. Telle est la position du gouvernement français sur ce sujet majeur. » Matthias Fekl, 5 février 2016
Pour aller plus loin
- La France refuse que l’UE soit seule à se prononcer sur le TTIP (EurActiv, Février 2016)
- Le gouvernement confirme une possible entrée en vigueur de l’accord CETA sans consultation des parlementaires (FoodWatch, Février 2016)
- L’accord CETA (Europe-Canada) sera-t-il appliqué avant même le feu vert des parlements ? (LeMonde.fr, février 2016)
- Business versus droits : en Colombie et au Pérou, la France a fait son choix (Blog d’Amélie Canonne, Septembre 2015)
- Lettre ouverte à M. Fekl sur la ratification de l’Accord Commercial UE-Colombie Pérou (Aitec et partenaires, Septembre 2015)
- Accord commercial UE-Colombie-Pérou : avec ou sans respect pour la vie humaine ? (CNCD-11.11.11, Décembre 2015)
- L’Irlande ratifie l’Accord UE-Pérou/Colombie : à quand la France ? (Libre-echange.info, Janvier 2015)